- KOTOKO
- KOTOKOKOTOKLe pays des Kotoko s’étend sur trois États: le Cameroun, le Tchad et le Nigeria. Au sein même de leur pays, les Kotoko, qui comptent environ 60 000 personnes, sont minoritaires; leur territoire étant un lieu de passage, de nombreux étrangers sont en effet venus s’y installer, notamment des Arabes.Les Kotoko se disent les descendants des Sao qui peuplèrent la région dès le Xe siècle. Les villages sont établis sur des buttes naturelles, sites archéologiques sao, dont les vestiges servent d’assises aux nouvelles villes. Ces villes sont le siège de principautés et forment des communautés relativement indépendantes, gouvernées chacune par un prince héréditaire, assisté de dignitaires. Chaque ville possède un territoire sur lequel elle exerce des droits: droit de pêche dans les biefs et droit de culture. Les territoires s’articulent dans un système hiérarchisé circonscrit à l’intérieur de chacune des trois grandes confédérations: Mandagué au nord, Mser, au centre, Lagouané, au sud. Chaque confédération a son dialecte et sa zone d’influence; dans la confédération intermédiaire, à la frontière des deux autres, se dresse l’arbre du monde; cependant, le prince qui dirige la capitale de cette confédération n’a pas de prérogative sur ceux de rang équivalent des autres confédérations. En dépit des efforts pour étendre leur aire d’influence respective, aucune hégémonie n’a pu être établie sur tout le pays. Chaque ville kotoko reproduit la même structure. L’agglomération est divisée en quartiers, regroupés en deux moitiés. La moitié nord est associée à la force, à la masculinité, aux activités liées à l’eau; celle du sud à la féminité, à la passivité, à la chasse, à la couleur noire, à la nuit et à la saison des pluies. La termitière sur laquelle s’élève la demeure du prince figure la matrice du genre humain. Sur la place centrale, outre la mosquée, se dresse une tour où seul a accès le prince, et dont la fonction est de relier la cité au monde céleste. La demeure du prince est orientée et horizontalement divisée en deux parties, dont les limites se prolongent au-delà des murailles de la résidence jusqu’à celle de la ville; la toiture, figurant le ciel, et la maçonnerie, représentant la terre, sont réunies par le pilier central dont les deux parties emboîtées symbolisent un accouplement. L’ordre de la cité, conçu selon un jeu d’oppositions et de correspondances, reproduit l’ordre de l’univers.À la base de l’organisation sociale, on trouve la famille étendue, composée des descendants d’un même aïeul (ou de son épouse). Cette communauté territoriale est dirigée par l’homme le plus âgé de la plus ancienne génération. Selon l’importance du chef de famille, la résidence peut comporter de quatre à quarante bâtiments, avec cours et courettes contiguës, un prince ayant jusqu’à cinquante bâtiments. La communauté se compose d’un ensemble de familles restreintes (l’homme, ses fils et l’ensemble de leurs femmes, ses filles célibataires). Chaque adulte y a sa propre maison. La filiation est patrilinéaire et la résidence patrilocale. Cette famille étendue n’a pas de nom propre et reçoit celui du quartier dans lequel elle réside; mais chaque famille possède ses prénoms et chaque individu doit avoir le sien propre. Aussi une importante progéniture oblige-t-elle à chercher d’autres prénoms. Si l’enfant reçoit celui d’un ascendant maternel, il ira vivre chez les parents maternels. L’alliance n’est prohibée qu’au sein de ce dernier groupe; elle est, en revanche, recommandée à l’intérieur des lignées masculines (avec la fille de son frère ou la fille d’un frère de son père), et il n’y a pas, dans ce cas, d’échange de dot. Les familles étendues sont regroupées en quartier, nommé geni en lagouanè et geyâ en mandagué, qui comporte un abri réservé aux hommes et un lieu de culte. Les familles établies dans un même quartier, sans être directement apparentées, ont une origine commune. Aussi les termes d’adresse sont-ils ceux de la parenté. Les adultes participent aux mêmes activités; ils prenaient autrefois leurs repas ensemble. Au sein de la ville les quartiers sont hiérarchisés, le premier étant celui des desservants du culte et, dans les capitales, celui des familles apparentées au prince. L’appartenance à un quartier situe l’individu sur trois dimensions: origine familiale, activité principale, enfin position sociale.La division en classes d’âge recoupe cette organisation territoriale. Chaque partie de la ville a ses classes d’âge: on en compte quatre par moitié; elles sont hiérarchisées, ont des insignes et des fonctions propres. Ainsi la classe des quinze/vingt-cinq ans est chargée de la réfection des habitations, du défrichage, de l’entretien des routes, du partage de l’eau, du ravitaillement en bois et enfin de la traversée du fleuve. C’est évidemment la classe des hommes les plus vigoureux; c’est pourquoi elle assume également la responsabilité de la lutte rituelle contre l’autre moitié de la ville. Le passage d’une classe à l’autre n’est pas automatique; les responsables de la classe supérieure en décident, après avoir fait subir aux candidats des épreuves initiatiques qui permettent de juger de leur endurance et de leur habileté. L’homme complet est celui qui a franchi toutes les étapes. Les liens entre les membres d’une classe d’âge sont aussi importants que les liens familiaux.La société est divisée en strates sociales. La première, celle des «hommes qui ont la force de la communauté», est constituée par les familles princières et les porteurs de titres. La deuxième, la plus importante en nombre, qui assume les activités productives et qui a la charge du culte traditionnel, comprend les hommes libres, dits les hommes de la terre. La dernière, enfin, est composée des anciens esclaves et des étrangers, «les impurs», ceux qui ne peuvent justifier d’une ascendance kotoko remontant à plus de six générations. Les Kotoko ont deux catégories de dignitaires. Il y a d’abord vingt-deux «chefs de tapis» autorisés à s’asseoir sur un tapis en présence du prince: ils sont répartis en cinq groupes hiérarchisés au sein desquels ils occupent un rang déterminé; considérés comme les «racines» des Kotoko, ils sont les dépositaires de la parole des ancêtres; leur fonction religieuse leur donne un grand pouvoir et notamment celui de démettre le prince de ses fonctions, si ce dernier agit avec démesure; interprètes de la volonté des puissances surnaturelles, ils sont aussi les principaux artisans de son élection, attribuent eux-mêmes des titres, sont entourés d’une cour nombreuse et perçoivent des redevances. Tous les autres dignitaires constituent l’autre catégorie et sont dits «chefs derrière»: comme les premiers, ils sont riches et possèdent des bâtiments à étages, des chevaux, une épée...; leurs relations avec les autres citadins sont réglées par une étiquette précise et, autrefois hommes d’armes, ils ne travaillaient pas et percevaient les revenus de la terre correspondant à leur titre; leur autorité dépend de l’importance de leur maison et de leur prodigalité. Aujourd’hui, de nouveaux dignitaires, fonctionnaires et marchands, remplacent ceux d’autrefois. Le pouvoir est exercé par le prince de la ville qui ne prend aucune décision sans en référer aux dignitaires, interprètes des animaux tutélaires. Le prince est à la fois chef militaire, juge suprême et grand prêtre. On ne peut être dignitaire sans avoir reçu l’agrément du prince. Si les princes jouissent d’une grande autonomie, ils sont cependant subordonnés aux trois grands princes qui dirigent les capitales des trois confédérations: Logone-Birni, Kousséri et Makari, et ne peuvent régner sans leur approbation; ils leur versent une redevance et fournissent une assistance militaire.La principale activité des Kotoko est la pêche, qu’ils pratiquent avec une grande technicité et dont le produit est réparti en parts égales entre les pêcheurs. Mais tous ne sont pas pêcheurs: certaines familles ne s’adonnent qu’à la chasse et se servent des armes spécifiques que les pêcheurs ne peuvent pas utiliser. Le travail de la forge et de l’orfèvrerie est interdit aux Kotoko; seuls les étrangers en font profession. Les Kotoko travaillent également la terre, mais ils sont plus jardiniers que cultivateurs. Le prince tire ses revenus de redevances payées par les Kotoko eux-mêmes, qui espèrent s’attirer ainsi la bienveillance divine, et surtout par les résidents étrangers à qui sont imposées des taxes: droit de pacage, droit d’exploitation (dixième de la récolte ou de la pêche), droit de péage pour traverser le pays et pour traverser le fleuve. La plupart de ses ressources servent à l’entretien du personnel du palais et de l’armée.
Encyclopédie Universelle. 2012.